À Bordeaux, Baston mélange les genres
Consacrée par le guide Fooding 2022, la “cantine-boulange” girondine revendique sa double identité, levier de créativité et de complémentarités, du fournil à l’assiette.
À Bordeaux, le restaurant et micro-boulangerie Baston interpelle les passants dès son étroite devanture, jaune vif ! Une couleur flashy comme l’éclair, logo de l’enseigne ouverte en mai 2021 par la boulangère Pauline Celle et le chef Julien Borie. Comme un fil rouge, ce jaune signature se retrouve en petites touches à l’intérieur, sur les rideaux translucides utilisés pour scinder les différents espaces du lieu tout en longueur.
« Cela ressemble à un couloir plutôt sombre, avec le fournil à l’entrée et les cuisines au fond », sourit le couple, qui a transformé ces contraintes en qualités.
Installé au milieu du restaurant, le four boulanger renforce l’ambiance transparente et atypique de Baston. Ses fondateurs ont fait appel à des copains menuisiers et graphistes pour signer l’identité et le mobilier du lieu, à la décoration moderne et industrielle (béton ciré au sol, canalisations apparentes), réchauffée par des éclairages et par des panneaux de bois aux murs. Les tables (une trentaine de couverts) se répartissent dans les interstices libres, entre la boulangerie et la cuisine, avec une petite terrasse en été sur la rue du Hâ. Située à l’orée du centre de Bordeaux, cette étroite venelle historique concentre les tables dynamiques — à l’image de Baston — participant au renouveau de la gastronomie locale.
Des interactions fructueuses
À l’origine, ce projet hybride est né de leur « envie de travailler ensemble », confient les deux trentenaires. Dans les faits, ils se croisent peu. Seule au fournil, Pauline fabrique ses pains le matin à partir de 4 h 30 pour approvisionner la boulangerie, accessible dès 10 heures aux particuliers, et livrer à vélo sa quinzaine de clients restaurateurs avant le déjeuner. En cuisine, Julien prend le relais pour les services du midi (du mardi au samedi) et du soir (du jeudi au samedi), épaulé par deux personnes en salle et en production.
Chacun sa spécialité et son espace, donc, mais les tests et les cartes se font en équipe, avec des interactions entre les univers, singuliers chacun dans son genre. En boulangerie, Pauline propose une petite dizaine de pains au levain naturel (un liquide de blé et un dur de petit épeautre, plus doux, pour le petit épeautre et la brioche) à la fermentation poussée : campagne, nature ou aux noix (bio du Périgord), seigle aux graines (bio du Gers), “pana” réalisé avec les invendus, focaccia aux olives de Kalamata (ou autres), etc.
Chaque jour, à l’entrée du restaurant, toute sa production s’aligne sur une échelle, visible par les clients comme par les passants. Les références et leurs prix sont mentionnés à même le carrelage blanc du mur. Tandis que les sacs de farines paysannes biologiques (Ferme du chaudron magique [Lot-et-Garonne] et Moulin de Bobina [Dordogne]) s’alignent sous un plan de travail en bois sur lequel trône une balance pour peser les pains — essentiellement des grosses pièces vendues au poids (à la tranche pour la brioche). Un esprit brut et locavore que l’on retrouve dans la cuisine, droite, instinctive et saisonnière de Julien, qui tient à « valoriser les goûts et les produits en priorité ». En mai, cela donne par exemple une association asperges, ail noir et sabayon à l’ail des ours, ou un poisson de ligne, betteraves, beurre rouge au miso, grué de cacao, kosho d’agrumes.
À la carte de Baston, renouvelée au fil des arrivages, plusieurs entrées, trois plats et deux desserts — dont l’incontournable brioche perdue « qui permet de revaloriser nos invendus », indique le chef. Il l’accompagne de caramel au cidre et d’une glace au pain réalisée à partir de miches torréfiées, avec à la clé des notes surprenantes de café. Les pains de garde de Pauline, en priorité les restes de la veille, dans une logique anti-gaspillage, accompagnent les repas. « Les pains ne doivent pas un être un détail en restauration », rappelle Julien. Selon l’inspiration du jour, ce dernier les travaille en cuisine sous différentes formes : tartines, boulettes, béchamel au pain ou crème à la brioche servie avec des asperges. À l’inverse, la boulangère utilise parfois des préparations de son conjoint pour des pains éphémères, comme un confit d’algues ou des agrumes confits.
« On se nourrit mutuellement », assure le couple, qui partage un même intérêt pour la fermentation, au cœur de la boulangerie mais également du restaurant. En témoigne une belle collection de bocaux, fruits des expérimentations du chef, exposés sur une étagère en salle.
Source de créativité, ce mélange des genres génère des interactions jusqu’en vente, certains clients du restaurant repartant avec du pain, tandis que la boulangerie, commerce de proximité par excellence, incite à pousser la porte de Baston — baptisé ainsi lors d’un voyage en Italie, « en clin d’œil à la “castagne”qui désigne les châtaignes là-bas ! »